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Annie Ernaux

  • Inéshar citerati fjol
    La veille de l’inhumation, on a fait cuire une pièce de veau pour le repas qui suivrait la cérémonie. Il aurait été indélicat de renvoyer le ventre vide les gens qui vous font l’honneur d’assister aux obsèques. Mon mari est arrivé le soir, bronzé, gêné par un deuil qui n’était pas le sien. Plus que jamais, il a paru déplacé ici. On a dormi dans le seul lit à deux places, celui où mon père était mort.
  • Inéshar citerati fjol
    Plus tard au cours de l’été, en attendant mon premier poste, « il faudra que j’explique tout cela ». Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé.
  • Inéshar citerati fjol
    Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d’« émouvant ». Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée.
    Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L’écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles.
  • Inéshar citerati fjol
    Cette méchanceté était son ressort vital, sa force pour résister à la misère et croire qu’il était un homme. Ce qui le rendait violent, surtout, c’était de voir chez lui quelqu’un de la famille plongé dans un livre ou un journal. Il n’avait pas eu le temps d’apprendre à lire et à écrire. Compter, il savait.
  • Inéshar citerati fjol
    Voie étroite, en écrivant, entre la réhabilitation d’un mode de vie considéré comme inférieur, et la dénonciation de l’aliénation qui l’accompagne. Parce que ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même, mais aussi les barrières humiliantes de notre condition (conscience que « ce n’est pas assez bien chez nous »), je voudrais dire à la fois le bonheur et l’aliénation. Impression, bien plutôt, de tanguer d’un bord à l’autre de cette contradiction.
  • Inéshar citerati fjol
    Sous le bonheur, la crispation de l’aisance gagnée à l’arraché.
  • Inéshar citerati fjol
    Mais désirer pour désirer, car ne pas savoir au fond ce qui est beau, ce qu’il faudrait aimer. Mon père s’en est toujours remis aux conseils du peintre, du menuisier, pour les couleurs et les formes, ce qui se fait. Ignorer jusqu’à l’idée qu’on puisse s’entourer d’objets choisis un par un.
  • Inéshar citerati fjol
    Il se trouve des gens pour apprécier le « pittoresque du patois » et du français populaire. Ainsi Proust relevait avec ravissement les incorrections et les mots anciens de Françoise. Seule l’esthétique lui importe parce que Françoise est sa bonne et non sa mère. Que lui-même n’a jamais senti ces tournures lui venir aux lèvres spontanément.
  • Inéshar citerati fjol
    Quand le médecin ou n’importe qui de haut placé glissait une expression cauchoise dans la conversation comme « elle pète par la sente » au lieu de « elle va bien », mon père répétait la phrase du docteur à ma mère avec satisfaction, heureux de croire que ces gens-là, pourtant si chics, avaient encore quelque chose de commun avec nous, une petite infériorité.
  • Inéshar citerati fjol
    Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent.
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